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Quel drôle de monde

Une heure moins le quart. Les fauves sont lâchés avec quinze minutes d'avance.  Personne ne déambule dans l'escalier, tous sont entassés dans les deux ascenseurs de l'immeuble. Marche après marche, je profite du calme avant d'être aspirée, quelques minutes plus tard, dans l'entonnoir de la porte d'entrée.  Ces futurs journalistes vont fumer leur clope (ou leur joint) avant d'aller s'acheter un sandwich triangle et une boisson au Super U du coin (qui doit se faire une sacrée thune). Les plus aisés opteront, quant à eux, pour la salade verte à 8€ de la boulangerie d'à-côté. Veinards ! Dix minutes plus tard, ils dégusteront cette bouffe insipide dans la salle de classe. Sans parler, en scrollant sur TikTok, Instagram et compagnie, ils vont attendre quatorze heures. Ne pas sortir, jamais. On ne sait jamais ce que le monde nous réserve.  Non loin de là, dans le parc de la maison du Judo, la scène est similaire.  Sous le chêne, le petit gros mange son sand

Le bilan

Bientôt 25 ans. Un quart de siècle.   Je le prends comme une nouvelle décennie (je vous le répète, j’ai toujours un temps d’avance).    Depuis plusieurs semaines trotte dans ma tête une sorte de bilan de ces dix dernières années. Putain, les 15 ans, c’était il y a dix ans. Qu’est-ce que j’ai fait entre temps ?    J’ai grimpé, beaucoup grimpé. Ce fut la révélation de cette décennie, cette passion qui me prend aux tripes. Si bien qu’années après années, c’est toujours avec le même plaisir que j’enfile mes chaussons d’escalade. Et je crois qu'à l'aube de cette 25e année, je serai d'accord avec la Coralie de 9 ans qui trouvait que ce "sport" n'en est pas un. En réalité, c'est un moyen d'expression, une forme d'"art" (presque un gros mot !)   J’ai participé à des compétitions, de grimpe puis de trail. J’ai fait mon premier 7a, mon premier 7c. Je me suis mise au vélo, à la photo, au skate… et même au ukulélé. Ai tenté la cascade de glace (sans

Tirer les cartes

 Samedi 21 octobre.  La scène est étrange. Irréaliste même.  Il est 23 heures et des poussières. Enfin, je crois. Parce que ce soir, j'ai oublié le temps. Trop occupée à discuter avec sept vieux qui ont tous (au moins) le double de mon âge. C'est drôle de faire une soirée avec Anne qui m'a vu grandir dans ce monde de l'escalade.  On parle grimpe, bien-sûr. Mais aussi trail, Outside ou encore transition écologique. Et on mange du gâteau aux fruits rouges. Tout se passe comme sur des roulettes jusqu'à ce que Céline décide de "tirer les cartes".  Encore un truc chelou, a pensé mon esprit cartésien, tout de même désireux de prouver que "ce truc de voyante, c'est des conneries".  J'ai choisi une carte, au hasard. Pas vraiment en fait, puisque je n'avais absolument pas envie de tendre le bras trop loin. Alors j'ai pris l'une des plus proches.  "Le Six d'Epée - Epanouissement", ai-je pu lire.  Céline, armée de son petit

Le cul entre deux chaises

 J'ai le cul entre deux chaises.  Voilà plusieurs semaines que j'essaie d'écrire ce texte. Sans succès. Mais cette fois-ci, c'est la bonne, j'en suis convaincue. Je le sais parce que maintenant, en ce lundi 16 octobre à 19h05, les mots me brûlent les doigts. Tout fuse dans mon esprit. Une journée de plus en moins. Aujourd'hui, je n'ai pas trop vu la lumière du jour.  Je suis allée sortir les poubelles ce matin et ce midi. En deux temps pour rallonger l'expérience. Voilà mon vécu avec le soleil du jour. Dix minutes, grand maximum. Peu mieux faire, je vous l'accorde. Sinon, j'ai passé beaucoup de temps à noircir mon ordinateur de mots. C'en est terrifiant, je vous l'avoue.  Une journée à l'opposée de celle d'hier où, doudoune au fond du sac, je grimpais en tee-shirt sur la paroi rouge, à Seynes. Là-bas, je racontais à Céline mon amour retrouvé pour les falaises. "Je comprends que tu aies eu besoin de faire autre chose, c'es

À ces moments en falaise, les vrais, ceux qui réparent

La musique à fond, j'écris. La scène est la même depuis des années. Des mots, des mots, toujours des mots. Avec frénésie, passion, délivrance parfois.  9h30. Sur le parking en face du stade.  - On va à Mouriès, tu connais la route ? me demande Christophe, un de nos nouveaux copains grimpeurs.  Ah bon, on va dans les Alpilles aujourd'hui ? Top. Et bien-sûr Christophe, t'as pas idée à quel point je la connais cette route. Putain, on va Mouriès, c'est dingue, non ? Les souvenirs n'ont pas le temps de resurgir. Je pense au trajet en voiture, à mettre l'ambiance, rien de plus. Voilà un an que j'ai arrêté d'aller en falaise - je le faisais par habitude, et non plus par goût. Il était tant de découvrir qui j'étais sans ces longues journées pendue dans le baudrier. Et puis, un jour, ça m'a manqué. Le contact avec le rocher, le cliquetis des dégaines sur le baudrier, les heures éternelles de partage et le fameux "oh non, demain c'est lundi".

"Laisse passer la tempête, on est plus forts que ça"

"Laisse passer la tempête, on est + forts que ça". La citation écrite à la craie trône au milieu de la cuisine depuis plus d’un mois.   Je l'ai écrite dans un moment de joie, ravie de partager l'esprit positif de cette chanson avec Guillaume. Avec "Plus fort", Julien Granel n'a pas écrit qu'un simple tube. Mais un hymne. Celui auquel je me raccroche quand j'ai besoin d'un peu d'énergie.   "Laisse passer la tempête, on est plus forts que ça".   Je ne pensais pas septembre allait avoir cette saveur. Ce n'est pas de la tristesse, quoique.   C'est plutôt le goût indescriptible de la page qui se tourne. D'un chapitre devrais-je plutôt dire. D'un cinquième de ma vie, voir du tiers. "J'ai l'impression que quelqu'un est mort, c'est étrange", ai-je souvent répété. Dire "au revoir", "merci", par besoin. Nécessité.   Le "merci" fait mal. En le voulant sincère, on y ajo

Je me suis trompée.

28 septembre 2023. Le quart de siècle approche, à grands pas. Est-ce que ce nombre va changer quelque chose au cours de ma vie ? Pas vraiment. Mais il est l’occasion, je crois, de marquer une pause. Oh, pas bien longtemps, juste histoire de freiner la frénésie. Il ne faudrait pas que je m’endorme quand-même.  À une quarantaine de jours de l’échéance, ma liste des “25 choses à faire avant 25 ans” n’avance pas. Honnêtement, j’ai écrit “Manger une pizza”. C’est tout. Suis-je à ce point satisfaite par ma vie actuelle ? Peut-être.  Qu'est-ce qui pourrait venir lui ajouter un peu plus de piment ? * * * Lundi, sur le chemin de Carrefour, je me suis assise sur un banc pour faire ma cohérence cardiaque du soir. On inspire pendant cinq secondes, on expire pendant cinq secondes. Trente fois. Soit cinq minutes à ne rien faire.   C’était la première fois que je me posais sur ce banc, dos au stade. Pourtant je passe devant tous les jours. Et je crois que j’ai pris du plaisir à vivre cette expéri

La vie est cyclique, putain.

Un nouveau livre d’Amélie Nothomb vient de sortir. Je ne l’achèterai surement pas. Sauf si “La Grande Librairie” arrive à bien me le vendre. À chaque rentrée littéraire, c’est la même histoire. La vie est cyclique, putain.   Tout est tellement prévisible, répétitif.   Si bien que je suis tentée, année après année, d’écrire la même chose. Inlassablement. Les jours qui raccourcissent, les feuilles qui ne vont pas tarder à tomber. Et toujours ces levers de soleil posant sur le monde leurs couleurs bouleversantes, peu importe la saison. Mais il y tout de même une bonne dose d’étrangeté dans cette période, vous ne trouvez pas ? Depuis fin août, j’ai l’impression que le monde déraille, que la machine s’est enrayée. Oh, ce n’est pas grand-chose. C’est comme s’il manquait d’huile dans chacune de nos actions. On arrive à nos fins, mais ça prend plus de temps, plus d’énergie aussi.   Prenons un exemple. Mercredi dernier, j’étais dans le bus avec Bao. L’objectif n’était guère complexe : rallier N

Là, sous nos yeux

-  Et il arrive en courant, ça s’applaudit, scande le pilote.   La foule ayant accouru depuis les quatre coins du camping s’enflamme. Les enfants ont des étoiles dans les yeux. Au milieu de la prairie d’Ailefroide, l’hélico fait le show.   Ses hélices n’ont pas cessé de tourner. Des larmes coulent sur mes joues.   Le secouriste descendu à petites foulées du vallon du Sélé s’envole dans les airs avec ses copains. Le pilote lance, en guise d’adieu, un petit coup de sirène. L’uniforme, ça fait prendre le melon, peu importe les circonstances, me dis-je, déçue une nouvelle fois, du genre humain. * * * Une heure plus tôt, un bout de montagne s’est détaché. Là, sous nos yeux. J’ai filmé la scène. Pour ne jamais l’oublier. Mais surtout pour mettre un écran entre mes yeux et cette réalité qui m’éclate à la gueule.   Ca faisait plus d’une semaine que l’on entendait des craquements, des petits chutes de pierre dans cette zone. La montagne, ça bouge tout le temps, disions-nous pour nous rassurer.

Là-haut (suite)

“Une guide vient de mourir à Sialouze”.  Le message fait froid dans le dos. Ici, dans les Ecrins, les morts, c’est rare. Surtout les guides.  Désirant en savoir plus, je fouille sur Google. Une chute de pierre, à 12h50. Sûrement dans les rappels, me dis-je. L’heure correspond, la dangerosité aussi. Seb nous avait bien dit de faire gaffe lorsque nous y sommes passés l’année dernière.  Mais dans mon esprit, “faire gaffe, pas traîner”, ça ne voulait pas dire “risquer d’y laisser sa peau”.  C’était donc ça l’hélico à Ailefroide. On y fait plus attention, il y a tellement à cette saison. Au moins deux par jour entre les chevilles pétées en randonnée et les grimpeurs coincés en grande voie. On en oublie la mort.  La guide, je ne connais pas son nom. Je sais juste que c’est une femme de trente ans, originaire de la vallée.  Pas commun.  Je fouille dans mes pensées. Et là, je pense à Jo’. * * * Le footing du dimanche matin n’a pas la même saveur qu’à l’accoutumée.  Je ne cesse de me dire : “Et

Book review : « Le Garçon sauvage », Paolo Cognetti

Aux interminables revues de presse de la semaine, je préfère sans aucun doute les « book reviews », anglicisme visant à rendre un peu plus stylé pour parler de « fiche de lecture ». Littérature 1. Journalisme 0.  Après avoir lu « Les Huit Montagnes », chef-d’œuvre qui a propulsé Paolo Cognetti sur le devant de la scène littéraire internationale, j’avais de grandes attentes en ouvrant « Le Garçon sauvage ». Comment une expérience d’isolement en montagne ne pourrait-elle pas me plaire après tout ? J’en suis ressortie étonnée. Pour plein de raisons. Premièrement : je n’ai rien annoté dans ce livre. Pas de petits croix, pas de phrases soulignées. Le néant. Est-ce que cela veut donc dire que ce livre est mauvais ? (Puisque je n’y ai rien appris, n’y ai jamais été bouleversée - sauf à la fin peut-être ?). Non, ce n’est pas si simple.  Revenons à la fin. Sans trop divulgacher, l’auteur quitte, on s’en doute, les montagnes qui l’ont accueilli. Un passage émouvant, un retour à la ville, un déch

L'histoire des enfants

 Dimanche 9 juillet, 22h39. Lyon.  L’insomnie me guette. Comme après chacun de mes départs de la montagne. Peut-être parce que chacune de mes visites là-bas, sur les sommets ou dans la vallée, me bouleverse, me fait grandir. Et pour vivre ça, je l’affirme désormais avec certitude : il n’y a pas d’âge.  Me colle également à la peau un désagréable sentiment d’étrangeté. Pourquoi suis-je ici, seule dans cette chambre d’hôtel, entourée par ces centaines d’immeubles, à la hauteur vertigineuse pourtant bien plus petites des altitudes alpines qui rythment ma vie ?  Je n’aime pas les fins. Surtout ces aurevoirs qui ressemblent bien trop souvent à des adieux. Pour remédier à cette mélancolie, je m’accroche à l’action. Aux cinquante pompes et à la douche froide de demain matin qui n’aura hélas pas lieu dans les eaux glacées de la Clarée.  Viennent alors à moi des mots que je m’empresse de coucher sur le papier, par peur de l’oubli certainement.  Je vous ai promis une histoire, la voici.  *** Név

Cette époque où l'on respire chaque jour des gaz de pots d'échappement

Aujourd'hui, j'étais tentée d'écrire sur l'euphorie générale qui traverse actuellement ma vie. Ce que je perçois comme une victoire, une revanche surtout.  Superstitieuse, je crains toutefois que mes mots ne viennent briser la magie, jetant au passage le redouté sort de l'éphémère. C'est pourquoi ce matin, je vais changer de sujet. Vous parler de quelque chose de plus terre à terre, de moins ego-centré aussi.   Désireuse d'optimiser chaque détail de ma vie, dans le but d'un utopiste épanouissement, je m'abreuve quotidiennement de science. De vulgarisation scientifique, devrais-je plutôt dire.  "On s'interroge autour du lait. Est-ce que c'est bon pour la santé ? Il y a tant de débats. Au vu de l'état de la littérature scientifique, je pense que notre principale préoccupation ne doit pas être de savoir si on doit consommer des produits laitiers. Surtout à une époque où l'on respire chaque jour des gaz de pots d'échappement"

En toute subjectivité, mon résumé de l’actualité (du 26 au 29 juin)

Lundi 26 juin Macron arrivé à bon port Après un sevrage d’actualités d’une semaine, que j’aurais bien prolongé, me voici de retour au charbon. Histoire de commencer tranquillement, j’ai attrapé le 20 Minutes du jour. En tête d’affiche ? Notre cher Emmanuel Macron. De quoi annoncer la visite, de ce lundi à mercredi, du président de la République dans la cité phocéenne. L’idée ? Capitaliser sur le plan “Marseille en grand” pour se relancer. Au programme de cette escapade en terres mélenchonistes : sécurité, vie des quartiers, école, accès aux soins, copropriétés dégradées, avenir du port, etc. Pas gagné !  Ca brûle Hier, une fumée âcre recouvrait Montréal dû aux énormes feux de forêt toujours actifs au Canada. Selon IQ Air, entreprise suisse spécialisée dans l’étude des polluants atmosphériques, il y a tellement de particules fines que Montréal est la ville ayant eu la pire qualité d’air au monde dimanche 25 juin. Drôle d’ambiance ! Le port du masque est recommandé et les activités extér

Trail des Ecrins

Eté 2018. Vallouise.  Les montagnes m’aident à remonter la pente – je leur en serai éternellement reconnaissante.  Entre deux services, je vais métaphoriquement « bouffer du dénivelé », comme se plaisent à dire les traileurs. Le meilleur moyen de me sentir bien dans mon corps, dans ma tête. Comme je n’ai aucun repère en ce qui concerne mes performances, je ne me sens pas trop lourde ici, contrairement aux heures passées sur le caillou. Envol nébuleux. Plus vivante que jamais, j’ai l’impression de retrouver la flamme, la passion de l’entraînement. Et un brin d’estime de moi. Ce qui n’est pas de trop. L’avantage ? Quelques kilomètres suffisent. Une montée à Puy-Aillaud, une autre à Ailefroide par le chemin du Facteur. Mais parfois, il m’arrive d’aller trouver la paix dans les longues randonnées, allant au gré des sentiers et des rencontres à la Cime de la Condamine ou au col des Grangettes. Poser des mots sur ces aventures s’impose rapidement, par peur de l’oubli certainement.  Merci les