À ces moments en falaise, les vrais, ceux qui réparent
La musique à fond, j'écris. La scène est la même depuis des années. Des mots, des mots, toujours des mots. Avec frénésie, passion, délivrance parfois.
9h30. Sur le parking en face du stade.
- On va à Mouriès, tu connais la route ? me demande Christophe, un de nos nouveaux copains grimpeurs.
Ah bon, on va dans les Alpilles aujourd'hui ? Top. Et bien-sûr Christophe, t'as pas idée à quel point je la connais cette route. Putain, on va Mouriès, c'est dingue, non ? Les souvenirs n'ont pas le temps de resurgir. Je pense au trajet en voiture, à mettre l'ambiance, rien de plus.
Voilà un an que j'ai arrêté d'aller en falaise - je le faisais par habitude, et non plus par goût. Il était tant de découvrir qui j'étais sans ces longues journées pendue dans le baudrier. Et puis, un jour, ça m'a manqué. Le contact avec le rocher, le cliquetis des dégaines sur le baudrier, les heures éternelles de partage et le fameux "oh non, demain c'est lundi".
Arrivés à Mouriès, une question : "On va à quel secteur ?". Et pour une fois, je n'ai pas envie de décider.
- Celui où il y a "Fleur de Rocaille", ça vous tente, demande Géraldine.
- Yes, parfait, répond Béa.
Tout le monde suit.
Face à moi, cette longue écaille parfaite sur laquelle je reconnais très vite une voie lisse. "Fleur de Rocaille". Les souvenirs se bousculent. Je repense aux longues heures de partage avec Caro, Miel et Ina. Il y a six ans déjà. On passe ensuite devant "Chasseur de Miel", mon premier 7a. Une phrase énoncée pendant mon ascension, "Accroche-toi", m'a sauvée. Tout est positif.
Sauf que je sais que Mouriès, c'est exigeant. Alors j'ai peur. Peur d'aller dans un 6a avec plus de trois mètres entre les points. Mais peu importe, j'y vais. Je me chie, mais c'est facile.
- J'adore cette falaise, c'est tellement mon style, dis-je en descendant à Guillaume.
- Ca veut dire qu'elle va mettre des buts à tout le monde aujourd'hui, répond-il amusé.
- Alors, c'est quoi ton projet aujourd'hui Coralie ? me demande Christophe.
Suis-je obligée d'en avoir un ? N'y en a-t-il pas marre de cette injonction à l'objectif ? Mais je ravale mes interrogations, bien consciente de l'ambiguïté de mes propos : je suis la première à me fixer des projets.
- J'aimerais bien retourner dans "Chasseur de Miel", c'est un 7a. Mais vu comment j'ai eu peur dans le 6a, je ne suis pas sûre...
- Ah la la, ces jeunes, toujours impatients, on n'est qu'au début de la journée !
* * *
- Bon, là, entre le 2e et le 3e point, il ne va pas falloir tomber, sinon c'est retour au sol, lance Béa.
Je sais, j'ai vu. C'est 6b. Vais-je réussir ? Portée par les encouragements de Béa, ça passe au deuxième essai. Sans elle, ç'aurait été impossible au vu de mon mental de chips, je l'admets.
C'est que l'on se marre bien avec ce petit groupe de vieux. Tous ont au moins le double de mon âge, c'est drôle cette ambiance d'EHPAD. Ca chante, ça se chamaille, ça se chambre. Il est là aussi, le plaisir de la falaise, j'avais presque oublié.
Boostée par cette belle énergie - et par un putain de plaisir à grimper - je décide d'aller dans "Chasseur de Miel", les dégaines aux fesses. J'enchaîne jusqu'à la 4e dégaine, soit 2/3 de la voie. Pas si mal pour une reprise.
- Quand je l'ai enchaînée, c'était Caro qui m'assurait. Je sais que je raconte tout le temps cette histoire. Mais franchement, quand elle est là, je ne grimpe pas pareil, je t'assure.
* * *
Après quelques montées de calage, j'admets que l'enchaînement en tête est trop ambitieux pour aujourd'hui. En moulinette, ce serait déjà une belle victoire. Alors, banzaï !
C'est mon dernier essai efficace de la journée, je le sais. Je n'ai plus de jus. Mais je connais tous les mouvements, je suis forte, serre les prises comme jamais, me bats à mort. Et juste avant le pas dur, je me dis : "Enchaîner 'Chasseur de Miel' sans tricher, ça serait cool non ?". À comprendre : en mangeant du fromage, de l'huile d'olive, du chocolat et des pizzas. Exit le petit dej' aux flocons d'avoine et à l'eau.
Me vient alors une phrase, prononcée à quelques mètres de là, il y a cinq ans. "Coralie, maintenant que tu as pris du poids, il faudrait que tu changes de chaussons".
Je l'avais presque oubliée celle-ci.
J'ai la rage.
Arquée main droite, verticale main gauche, tu relances. Pied gauche très loin. Bam, droite.
Tu tiens, tu tiens, tu tiens.
Monter le pied droit haut et précis. Inversée main droite, arquée main droite.
Bim, le bac.
Le relais, les larmes. "Putain, je l'ai fait".
* * *
Deux heures plus tard, au loin le coucher du soleil. Nous rentrons sous les pins des Alpilles. "Ca sent l'enfance !" lance Béa. Elle ne croit pas si bien dire.
Arrivée à Mouriès, j'en repars boostée par ma nostalgie.
- Il va falloir revenir pour faire "Chasseur de Miel" en tête, me dit Guillaume.
C'est vrai. Mais un vieux rêve vient de refaire surface, celui d'un broyage d'arquées encore plus puissant. Une grande dame, une "Fleur de Rocaille" est désormais entrée dans mon coeur. Patience.
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