Trail des Ecrins

Eté 2018. Vallouise. 

Les montagnes m’aident à remonter la pente – je leur en serai éternellement reconnaissante. 

Entre deux services, je vais métaphoriquement « bouffer du dénivelé », comme se plaisent à dire les traileurs. Le meilleur moyen de me sentir bien dans mon corps, dans ma tête. Comme je n’ai aucun repère en ce qui concerne mes performances, je ne me sens pas trop lourde ici, contrairement aux heures passées sur le caillou. Envol nébuleux.

Plus vivante que jamais, j’ai l’impression de retrouver la flamme, la passion de l’entraînement. Et un brin d’estime de moi. Ce qui n’est pas de trop. L’avantage ? Quelques kilomètres suffisent. Une montée à Puy-Aillaud, une autre à Ailefroide par le chemin du Facteur. Mais parfois, il m’arrive d’aller trouver la paix dans les longues randonnées, allant au gré des sentiers et des rencontres à la Cime de la Condamine ou au col des Grangettes. Poser des mots sur ces aventures s’impose rapidement, par peur de l’oubli certainement. 

Merci les montagnes de m’avoir permis de rêver, plus grand, plus large. Sur ma to-do list, entre autres : le Trail des Ecrins (format long). « Le seul moyen d’y arriver, c’est d’avoir une relation saine avec la nourriture, un carburant pour accomplir ce genre de projet, surtout pour assumer l’entraînement que cela demande ». Encore une fois, j’essaie tant bien que mal de trouver des subterfuges dans l’espoir de sortir de cette spirale infernale. 

5h52, 17 juin 2023. L’Argentière-la-Bessée. 

« Alors Guillaume, qu’est-ce qu’on fait là ?
- Ben ça caille. On serait mieux au lit. 
- Tu sais pourquoi on est là ? 
- Non. 
- On ne sait pas pourquoi on est là ». 

La dame rigole. La dame se chie dessus surtout. 

Dossard épinglé, veste de trail enfilée, impossible de reculer face aux 57 kilomètres (et aux 3400 mètres de dénivelé) qui m’attendent. Suis-je suffisamment entraînée ? L’objectif n’est-il pas trop ambitieux ? S’il n’y a que 15,8% de femmes inscrites, c’est que ça va être difficile… Depuis un mois, les questions se bousculent. 

C’est long un mois. 

6h00. Le départ vient d’être lancé. Je passe sous l’arche, lance ma montre. 6:00 au kilomètre. Ca part trop vite, comme d’habitude. Objectif : les Têtes, 11e kilomètre. Rien de plus. 

Après un petit bouchon dans la première montée, c’est parti. Tiens, c’est là où je suis venue courir vendredi dernier. Après 6 kilomètres de plat, 900 mètres de dénivelé. Que j’avale sans trop de problèmes, osant même doubler des participants. 

Le col de Pousterle, son ravitaillement en eau. Tout se passe très bien. Putain, qu’il est beau le Pelvoux vu d’ici. Rapidement, je rejoins Narreyroux, encore de l’eau. On s’hydrate, on s’asperge d’eau. 

S’en suit une première descente sur Vallouise. C’est assez technique, ça me plaît, je mets du rythme. La fin est toutefois assez cassante pour les jambes. Oh la jolie cascade, bientôt le ravitaillement.

Kilomètre 23. 
J’arrive à manger, à boire, à m’asperger. Mais je ne reste pas longtemps. Il fait très chaud au cœur de la vallée. Et 1400 mètres de dénivelé m’attendent. 

Viennent alors les dix kilomètres les plus longs de ma vie. L’avantage ? Je me rends compte que je connais le chemin, pour l’avoir parcouru cinq ans plus tôt, au hasard. Repasser devant la cabane de berger déserte (et toujours aussi photogénique) qui m’avait value une rencontre mémorable avec un patou me redonne espoir : si j’ai réussi à monter en 2018, il n’y a pas de raison que je n’y arrive pas maintenant. 

Une compote. Et ça repart. 
Objectif ? Sortir de cette forêt de mélèzes. Ce qui je fais quelques centaines de mètres plus tard. Bientôt le kilomètre 30, bientôt la pâte de fruit. 

Au loin, j’aperçois Guillaume. Oh putain, je vais le rattraper, dingue. Après le petit boost de confiance, je réalise que ce n’est pas normal, qu’il doit être dans le mal. Ce qu’il me confirme. Je lui crie : « T’es dans le creux, c’est normal, ça va remonter. Tout se joue au mental ». 

Je me rapproche, jusqu’à être sur le point de le doubler. Mais reste derrière pendant quelques minutes pour l’encourager, avant de continuer ma route. C’est le jeu de faire la course seul, on le sait depuis le début. 

Arrivée au col de Vallouise, à 2600 mètres d’altitude, je bascule du côté de Briançon, espérant que Guillaume me rattrape dans les prochains kilomètres. 

Plus que 24 kilomètres. C’est long. 
Après une abrupte descente, je remonte au col de la Pisse, vers 2500 mètres. Un moment épique. J’en chie, je me demande ce que je fais là. C’est tellement dur, j’ai envie de pleurer. Mais ça me ferait perdre de l’eau, pas hyper utile. Après une heure de souffrance, au sein de laquelle je passe notamment la barre des 3000 mètres de dénivelé cumulés, les sourires des bénévoles au sommet me redonnent un peu de positif. Le plus difficile est fait, je le sais. 

Pourtant, il me reste encore 17 kilomètres. Objectif : doubler la dame devant moi. Ce que j’arriverais à faire non loin du col de l’Eychauda, à un gros coup de mental pour accélérer dans cette descente boueuse. Et hop, la zipette, à deux doigts de me retrouver les fesses dans la boue. Je ris de moi-même. 

Au loin, Chambran. Le bonheur. 
Je suis sur le GR54, protégée par les montagnes. Plus rien ne peut m’arriver. Je m’autorise même à savourer, à lâcher le chrono, cette peur de l’échec qui me colle à la peau, et à échanger quelques mots avec un randonneur croisé en chemin. 

Non loin de Chambran, je m’envole. 6:30 au kilomètre. Dingue. 

Une fois au ravito, de gentils messieurs me proposent d’arrêter, de rentrer en voiture à Vallouise. Je leur ris au nez. J’ai plus d’une heure d’avance sur la barrière horaire, il me reste seulement 8 kilomètres, presque uniquement en descente, pourquoi lâcher l’affaire maintenant ?

Je réaliserai plus tard que ma tête de CM2 m'a joué des tours sur les sentiers. Et une tête de CM2 féminine, c’est encore pire, surtout lorsqu’elle est sur le point de doubler des grands monsieurs trentenaires fiers de courir dans les montagnes. Un week-end qu'ils ne manqueront pas de raconter au bureau lundi.

« Tu vas y arriver, meuf. C’est dingue. Même si tu devais ramper maintenant, c’est possible ». (Dernière phrase peu réaliste mais tout de même prononcée). 

J’aurais aimé m'envoler jusqu’à Vallouise. Ce n’est pas le cas. Je subis, me force à courir, marche quelque fois, surtout sur le goudron que je trouve particulière agressif. 

« Plus que deux kilomètres, courage ! » me lance un bénévole.

Oh putain, on va passer par le chemin du Facteur. Au programme : environ un kilomètre où s’enchaînent courtes montées et descentes. Alors qu’en bas, de l’autre côté du Gyr se trouve un large sentier plat. 

« Plus que 50 mètres de sentier, 300 mètres de goudron et c’est l’arrivée », me dit un bénévole. 

Là, je réalise que je vais y arriver. Mes poumons se compriment, les larmes montent. Je continue de courir pendant quelques mètres, histoire de garder la face. Avant de me stopper, envahie par les émotions. « Respire, ce n’est pas encore fini. Garde un peu de dignité pour passer la ligne d’arrivée ». 

Dernier virage, la boulangerie, la ligne d’arrivée. 
Arrêter la montre. Les larmes, incontrôlables. 

« Non, je n'ai pas besoin d'aller voir le kiné. C'est juste la tête. Il faut que ça sorte, ça va aller mieux ». 

La boucle est bouclée. 
La page est tournée. 
À moi d’écrire la suite. 



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