Là-haut (suite)

“Une guide vient de mourir à Sialouze”. 

Le message fait froid dans le dos. Ici, dans les Ecrins, les morts, c’est rare. Surtout les guides. 

Désirant en savoir plus, je fouille sur Google. Une chute de pierre, à 12h50. Sûrement dans les rappels, me dis-je. L’heure correspond, la dangerosité aussi. Seb nous avait bien dit de faire gaffe lorsque nous y sommes passés l’année dernière. 

Mais dans mon esprit, “faire gaffe, pas traîner”, ça ne voulait pas dire “risquer d’y laisser sa peau”. 

C’était donc ça l’hélico à Ailefroide. On y fait plus attention, il y a tellement à cette saison. Au moins deux par jour entre les chevilles pétées en randonnée et les grimpeurs coincés en grande voie. On en oublie la mort. 

La guide, je ne connais pas son nom. Je sais juste que c’est une femme de trente ans, originaire de la vallée.  Pas commun. 

Je fouille dans mes pensées. Et là, je pense à Jo’.

* * *

Le footing du dimanche matin n’a pas la même saveur qu’à l’accoutumée. 

Je ne cesse de me dire : “Et si c’était Jo’ ?”, l’enterrant à moitié. Se dessinent alors les premières lignes de ce texte. Face aux émotions, les mots. C’est bien connu. 

Jo’, je ne la connais pas vraiment. Quand elle n’est pas en montagne, elle traîne à La P’tite Dalle, chez les copains. 

Elle aime raconter ses histoires. Toujours avec le sourire. “En grande voie, assurée par certains clients, c’est comme si j’étais en solo”, expliquait-elle récemment avec philosophie. C’est le métier qui veut ça je crois. Accepter que la cordée ne soit pas parfaite, avancer quand-même, avec une innébranlable confiance en soi. Sans se laisser le droit de tomber. 

Jo n’a pas vraiment d’attache. Que des potes qui comprennent ce qu’elle vit. C’est comme si elle était prête à partir à tout moment. 

À La P’tite Dalle, son QG, elle enchaîne clope sur clope, bière sur bière, barquette de frites sur barquettes de frites. Il se murmure qu’elle va mal finir. Mais pas comme ça, pas si vite, ce n’est pas possible. Une chute de pierre, c'est trop con.

Jo’, j’aurais aimé la rencontrer, discuter montagne avec elle, l’inviter à Grimpeuses. Pourquoi ai-je toujours remis cela à plus tard ? On ne prend jamais le temps pour ce genre de choses. C’est dommage. 

* * *

Quelques heures plus tard, je verrai Jo’ (sans son sourire) non loin du bureau des guides. “Ouf, ce n’est pas elle qui a disparu en montagne” me dis-je, guère rassurée finalement. 

Car égoïstement, je me dis aussi que j’aurais pu être à la place de cette guide. Ca fait bizarre de se dire que tout peut basculer, comme ça, d’une minute à l’autre. Mais ça ne me fout pas la trouille. Ce n’est pas une raison pour ne pas y retourner, là-haut. Et quand on y pense, c’est logique non ? On ne s’arrête pas de traverser la rue parce que l’on risque d’être écrasés par des voitures, n’est-ce pas ? 

* * *

Mercredi 16 août. La vallée est en deuil. Elle a perdu une de ses filles.

Je ne connaissais pas, mais c’est tout comme. Les émotions en montagne sont universelles, n’est-ce pas ? 

18h00. Le Chalet-Hôtel est fermé aux touristes ce soir. S’y agglutinent les guides, reconnaissables à leurs vestes jaunes, la famille, les amis, les élus. Tous ont le visage fermé. Ce qui contraste avec celui des grimpeurs et randonneurs, déambulant dans les rues d’Ailefroide, certains avec une glace à la main, qui se demandent ce qu’il peut se bien passer. 

On va aller grimper, comme si de rien n'était, sans trop avoir compris pourquoi on faisait ça. Pour le dépassement de soi, pour le partage aussi, je crois. Quoiqu’il en soit, Elsa sera toujours dans nos têtes, pour nous rappeler de faire attention. Mais surtout pour dire de profiter de chaque instant.

Parce que la vie est une chance.
Parce qu’elle est parfois cruellement injuste. 

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