Le pont a été emporté par le torrent 1/3

Le pont a été emporté par le torrent, impossible d'aller à la bosse de la Clapouse.

Fâcheuse découverte en ce 5 juillet. Sera-t-il réparé pour la saison ? Ses planches se sont-elles éparpillées dans les eaux vagabondes du Gyr agité ? 

Tant pis, je continue ma route en direction du Sélé. Gourde dans une main tandis que l'autre est préoccupée à effleurer les plantes qui une à une apparaissent sur mon chemin. La nuit ne va pas tarder à tomber et contrairement à d'habitude, j'ai décidé d'abandonner ma frénétique lecture pour aller... je ne sais faire quoi. À vrai dire, j'erre sur ce chemin que je connais par coeur sans but si ce n'est d'être ici, dans cette nature généreuse. 

Le temps n'a plus d'emprise. Cependant, après avoir croisé quelques randonneurs, je décide de rebrousser chemin. Morphée me tend les bras, autant en profiter. 

Les nuits d'insomnies ont disparu, les questionnements semblent s'être évaporés. Ce soir, je réapprends à vivre. Sans planification, sans objectifs, avec mes rêves et mes envies soudaines. Ailefroide, un été à écrire et à grimper. C'est que j'ai toujours voulu, sans pour autant m'en donner pleinement les moyens, sans même oser y croire vraiment. Est-ce arrivé par hasard ? 

Demeure une question, un doute : pourquoi moi ?

Comment se fait-il que le torrent ait réussi à être plus fort que le pont ? À le renverser ? 


* * *


Plus que quelques minutes avant d'arriver au camping. Soudain, j'aperçois un bloc à un mètre du sentier. Rien d'exceptionnel : de la mousse, des épines de pin, pas très vertical, des bonnes prises. Accessible à tout le monde sauf qu'il doit faire 4 mètres. Sans réfléchir, guidée par cette pulsion de vie grandissante, je décide de poser ma gourde au sol avant d'aller me redresser à son sommet. Vue imprenable, question récurrente : que faire une fois que mes rêves seront devenus des souvenirs ?


* * *


Pendant deux mois, tout au long de la journée, le chant de l'oiseau accompagne nos journées de travail au coeur des montagnes tandis qu'avec mélancolie, nous entendons le cliquetis des dégaines sur le baudrier des grimpeurs. Rassurantes mélodies. 

Guère épuisé par sa journée, il chante encore quand nous partons grimper à 18 h, moment idéal où le soleil se cache derrière les montagnes. Quelques heures plus tard, je ne résiste pas à l'épuisement, les étoiles gagnent la partie. J'éteins la lumière avant qu'elles ne dévoilent la leur. Parfois, il m'arrive de les apercevoir, en sortant au milieu de la nuit, quand une envie pressante - ayant pour cause une camomille bue un peu tard - se fait sentir. 

Une journée de plus... en moins. 


* * *


12 juillet, dans la douche. 

- Alors, vous avez une idée d'à quelle sauce nous allons être mangés ? dit un inconnu qui doit sûrement être en train de faire la vaisselle. 

- Tu parles de quoi ? répond une deuxième personne dont je ne connaîtrais jamais le visage. 

- Macron, il a parlé ce soir. Je n'ai pas encore vu ce qu'il a annoncé. 

Dix minutes plus tard, une soirée de stress commence où je délaisse les montagnes pour me plonger au coeur des actualités... déconcertantes. Le pass sanitaire vient jouer les troubles fêtes. Dans un mois, il faudra dire adieu aux délicieux repas des Vallois. 


* * *


Le lendemain, ni une ni deux, j'enfourche mon skateboard pour quelques descentes terrifiantes au coeur des montagnes. N'est-ce pas ces moments d'exaltation auxquels on va devoir se raccrocher très fort pendant les prochains mois, les prochaines années ? 

Au lieu de sombrer dans le négatif, je choisis de laisser les mauvaises nouvelles sur le bord de la route pour aller égoïstement expérimenter une vie où "liberté" est le maître mot. 


* * *


Deux mois plus tard, dans une France qui ne cesse de se diviser, je me rends compte que Macron était un visionnaire : "Nous sommes en guerre". La pandémie n'est pas l'ennemi à combattre. Ce qu'il faut vaincre, c'est l'obscurantisme, la peur. Alors oui, l'histoire se répète mais pas forcément celle que vous croyez. Rien à avoir avec l'étoile jaune, je vous parle des Lumières. 

Loin des sommets, je soigne mon angoisse en me concentrant sur ces petites choses du quotidien. Hier, en grimpant, j'ai remercié ces deux arbres d'avoir accueilli ma slackline : j'ai un gainage d'enfer ! 

Ce matin, j'ai couru à la frontale dans la vallée de l'Eure. Aucun humain à l'horizon, que des crapauds. En prenant une douche froide, je me suis revue cet été, dans l'eau glacée de la fonte des glaciers. 

Pardon mais je ne désire pas changer le monde.
Pardon mais je ne crois plus à l'unité. Je suis trop préoccupée par l'intensité des instants que je vis, parce qu'être jeune, c'est avoir tout à créer.
Pardon de ne pas avoir la rage, je n'en ai pas le temps. 

Pardon mais tout ce que je souhaite, c'est retourner là-haut. Lieu où tout semble possible pour peu que l'on s'en donne les moyens, écrin où l'on ne se pose plus mille et une questions politiques. On vit, c'est tout (et c'est déjà beaucoup). Emmitouflée dans mon duvet, sous une pluie d'étoiles filantes, je n'ai pas besoin d'un repas au restaurant pour savourer la vie. Une pizza à emporter dégustée entre amis fera largement l'affaire. 





"La sensation d'être heureux ou malheureux dépend rarement de notre état dans l'absolu, mais de notre perception de la situation, de notre capacité à nous satisfaire de ce que nous avons" - Dalaï Lama


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