"Tu sais qu'un jour j'ai failli mourir"

Et si pendant quelques minutes, on se plongeait dans un instant de vie partagé entre trois camarades de cordée ? Soulignons qu'ils ont tout de même gravi le col de l'Eychauda versant Le-Monêtier-les-Bains, une performance assez peu réalisée dans le monde de la randonnée... 

Avec Jean-Luc et Ginette, les habitués de la montagne, il y avait Maurice, la cerise sur le gâteau pourrions-nous dire. Quelques mots suffisent à le définir : sac à dos de 18 kg sur le dos ou non, il avale les mètres de dénivelé à une vitesse non loin de faire frémir François D'Haene. 

Avec son humour aussi intarissable que redondant, il est bien sympa le Maurice. Cependant, sur ce GR, il peut faire éprouver, même aux plus humanistes, un sentiment bizarre. Le même qui nous envahit lorsqu'à la salle d'escalade, un petit garçon de 10 ans enchaîne notre bloc de travail en un unique essai... Ou quand l'on regarde les vidéos d'Oriane Bertone. 

Un mélange entre "waouh, c'est incroyable" et "putain, c'est dégueulasse".  

Aujourd'hui, je laisse la plume à Ginette, non pas pour vous parler des exploits de Maurice, bien qu'ils soient dignes des plus beaux textes mais d'un petit souvenir, d'un morceau de vie. 


* * * 


En ce premier juillet de l'an deux mille vingt et un, tout va pour le mieux. Pas de patou à l'horizon, personne n'a mal aux genoux et tout le monde a été doublé. Nos "amis" doivent être loin derrière, peut-être se sont-ils cassés une jambe au col du Pas de la Cavale, pense-t-on, tandis que l'Américain a sûrement fini le GR en boitant. Maurice a ses tongs bien accrochées à son sac (et pour une fois, il est derrière !). En fait, je n'en suis pas vraiment sûre, mon souvenir serait-il tronqué par un désir de le voir fatigué - pas tout le temps mais rien qu'une fois pour être sûre qu'il est bien humain ? 

Après avoir gravi notre dernier col à 2600 mètres, passés quelques névés résistants au réchauffement climatique, nous descendons à flanc de paroi. À gauche, le vide d'une vallée profonde. À droite, des pentes fleuries. Dommage que ce n'est pas plat, on aura pu planter la tente ici, pense-t-on à souvent à voix haute. J'aime ces instants sur les sentiers pour leur simplicité. Même si au début notre vie défile dans nos esprits, on se concentre très vite sur l'essentiel. Marcher, manger, dormir et trouver de l'eau. 


* * *


15h. Deux choix s'offrent à nous. 

Monter à la Brèche du Périer, qui surplombe le lac Lauvitel, ou descendre à la Cabane de la Selle, à 10 minutes. Frappés de curiosité, on choisit la seconde option. 

La pente s'adoucit. Au loin, une source coule avec ardeur. "C'est bon, il y a de l'eau" dis-je en me retournant (oui pour une fois, je suis devant). Précieux liquide qu'on a la fâcheuse habitude de considérer comme acquis. Sauf que là, on n'est pas dans le quotidien. On est dans la vie, celle qui nous offre souffrance et émerveillement, au gré de ses envies. 

Quelques mètres plus loin, une grande cabane en bois apparaît devant nous. Jean-Luc et Maurice l'ouvrent sans difficulté. "Waouh, on peut dormir dedans". Caverne d'Ali-Baba cinq étoiles aux mille et un trésors, au coeur de la forêt avec vue sur la vallée. Altitude : 1998 m, assez facile à retenir. 

"Oh regardez, il y a même de l'huile d'olive, du sel et un poêle à bois

- Un Godin, une très bonne marque", m'explique Maurice. 

Je rétorque avec une arrogance habituelle "Fais pas genre tu t'y connais en poêle à bois" avant que Jean-Luc ne vienne trancher, soulignant mon ignorance, qu'en fait Godin, c'est vraiment très réputé. Avant le début de la guerre, l'armistice est signé. 

Après avoir percés les plus beaux secrets de la cabane et y avoir installé nos affaires pour la nuit, je ne peux pas m'empêcher de laisser une trace de notre passage éphémère. Quelques mots inscrits dans le livre d'or présent sur place feront l'affaire. Ainsi notre histoire se mêle à celle de ces nombreux randonneurs-voyageurs qui ont eu eux aussi la chance de tomber sur cet écrin, sur cette bienheureuse cabane ! 


* * *


Deux heures au soleil avant d'aborder ce moment tant espéré bien que redouté : la douche. On est d'accord, c'est un bien grand mot. Aller, hop, à la source ! Le froid revigorant, une découverte inouïe pour moi. D'abord fébrile à passer mes pieds sous l'eau, je termine par m'y laver les cheveux. Une expérience que je réitèrerai à chaque seconde. Une cascade ? Un torrent glacé ? Brûlants appels à une énième sortie de ma zone de confort. 

En guise de repas, des pâtes au thon. En dessert, des barres de céréales qui feront vomir Jean-Luc sur le parking de Bourg-d'Oisans le lendemain. 

Quant à Maurice, partisan de la redondance, il fait preuve de nouveauté en racontant des histoires incroyables. D'habitude, ses blagues et ses anecdotes, je les connais toutes par coeur. Mais ce soir, nous avons le droit à de l'inédit. "Tu sais qu'un jour j'ai failli mourir" lance-t-il. Je n'y crois pas une seconde... Précision : Maurice est bien souvent le plus Marseillais des Parisiens. 

En mangeant ses Dragibus, il nous explique. Une histoire de grue, de nacelle qui bascule. Maurice n'avait pas tort. J'ai failli ne jamais voir le jour. 


* * *


Quelques minutes plus tard, avec deux randonneuses venant fêter la fin du bac, nous partageons le même spectacle. Une biche vient boire à "notre" source. Ne manifestant aucun effroi, il s'avère que sa curiosité est très photogénique. Bouches-bées devant chacun de ses mouvements, nous sommes aspirés dans une autre dimension temporelle, celle de l'observation poétique. Depuis quelques mois, les instants de contemplation pure s'additionnent dans ma vie. Est-ce l'âge venant qui m'offre ce nouveau regard sur le monde ? 

Après le départ de l'animal, Jean-Luc, et surtout Maurice, sont nettement moins enchantés par le mulot qui vient de rentrer dans la cabane que nous nous apprêtions à fermer pour la nuit. Notre Maurice a encore de l'énergie pour la chasser et pour bloquer l'unique trou par lequel elle pourrait revenir. Pendant ces quelques minutes d'acharnement, nous nous moquons de sa détermination à laisser Mulot dormir dehors. "C'est bon, c'est du costaud, ça ne bougera pas" dit-il en terminant son aménagement. Nous n'en doutons pas une seule seconde. 


* * *


Après une nuit paisible... Non là, par contre, désolée mais je ne joue pas le jeu. La nuit était loin d'être silencieuse. Je ne parle pas de ces randonneurs qui se sont approchés à la frontale. 

Là, c'est une nouvelle fois Maurice qui est visé. Tout le monde l'a détesté. D'abord, le simple "Waouh, ça résonne dans tous les sens" est devenu une interrogation. "Ca ne s'arrête jamais ?". Question qui s'est avérée être rhétorique. Même le plus grand sage aurait conclu par un "putain, je n'arrive pas dormir". T'inquiète pas Maurice, on ne t'en veut pas plus.

Bon, reprenons. Après avoir essayé de dormir, nous repartons, sac à dos sur les épaules pour l'ultime journée de notre périple. Avoir avoir photographié la cabane une dernière fois, une émotion bizarre me colle à la peau pendant quelques minutes. On aimerait bien rester un peu longtemps mais cet écho vers la découverte est plus fort. Douloureux éphémère que l'on serait tenté de faire durer. Mais après un dernier regard, on met un pied devant l'autre, avec quelques photos dans la pellicule et de nombreux souvenirs gravés - ceux propres à ces inoubliables bivouac sont si précieux. 

En direction de la Brèche du Périer pour une ultime montée, on choisit de laisser le sédentaire derrière, avec un léger pincement au coeur (n'est-ce pas cela le prix de la liberté ?) et d'avancer vers de nouveaux horizons, de nouveaux bivouacs, de nouveaux paysages avec cette permanente fébrilité qui nous dirige vers l'ailleurs, celle de louper quelque chose, de rater un rare moment de vie. 


Une variante du GR, une bifurcation, et l'on se retrouve ici.  

La vie n'est-elle faite que de choix au sein desquels on zigzague, 

Guidés par le hasard vers des chemins aléatoirement heureux ?











Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Parenthèses

THE END (for now)

L'année 2023 en 99 souvenirs