Antidote.

Cela fait quelques jours que j'ai retrouvé les fleurs. Celle des cerisiers ont laissé place à de délicieux fruits rouges dont je me délecte avidement. Maman me dit de faire attention quand je grimpe sur les branches. Elles sont fragiles, il ne faut pas les casser sinon l'arbre il crie en silence, il pleure pendant des jours sans qu'on devine sa souffrance. 

Cela fait quelques temps déjà que l'école est fermée. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Mais bon ce n'est pas si mal. Je n'aimais pas jouer avec les copains. Ils n'étaient pas méchants mais juste quand ils se mettaient tous à parler en même temps, j'avais une impression bizarre - la même qui fait trembler mon corps quand la craie crise sur le tableau vert foncé avant de casser. 

Disons simplement que je n'ai jamais vraiment réussi à être comme les copains, à les comprendre. Maman trouve ça chouette, il dit que je ne rentre pas dans le moule, que je suis pleinement moi-même. Mais moi, ça me rend souvent triste, j'aimerais bien rigoler avec tout le monde, jouer au football et donner des gros coups de pieds dans les tas de feuilles. Mamie dit que c'est parce que papa il est parti, parce que je suis entouré de femmes que je ne sais pas être un "vrai" garçon. Mais maman me dit de ne pas l'écouter, que mamie elle est vieille, qu'avec l'âge on dit des bêtises.  

Elle a raison maman. Encore hier, mamie s'est emmêlée les pinceaux. Elle m'a dit au téléphone qu'en ce moment c'était la guerre mais qu'elle ne ressemble pas à celle qu'elle a connu. "Pas de résistants, pas de collabos, quoi que..." a-t-elle dit. Je n'ai pas compris ce que cela voulait dire. Mais bon, je ne lui en veux pas à mamie, elle perd un peu la tête. 

Par contre, il faudrait faire attention au président car il a aussi dit "nous sommes en guerre" à la radio. En tout cas, moi tant que je ne verrais pas de cowboys et pas d'indiens, je n'y croirais pas à leur fichue guerre. 

* * *

Cette guerre, je la trouve plutôt drôle, même si on ne voit plus la maîtresse, même s'il ne fait pas encore suffisamment chaud pour aller dans la piscine. C'est comme des vacances d'été, sauf qu'on ne sait pas encore quand est-ce que cela va s'arrêter. Je crois que je commence à comprendre le symbole que Léo, mon cousin, essayait de m'expliquer à Noël. L'infini. 

En tout cas, certaines choses ne changent pas et ça me rassure. La lumière rouge de mon radioréveil indiquant l'heure est toujours projetée sur le plafond, une bonne odeur se dégage de la cuisine tous les jours vers 11h, je retrouve mes coloriages après le repas mais surtout l'odeur des crayons de papier que je taille. Et puis, peu importe si c'est le printemps, que le rouge du thermomètre monte de plus en plus haut, j'aime toujours cette soupe avec les lettres de l'alphabet au goût de pâtes. Ca me réchauffe le coeur. Tout comme le tonnerre. 

Du tonnerre, je n'en ai plus peur. Maman dit que c'est parce que j'ai grandi. Je l'aime bien maintenant le tonnerre. Il me rassure les soirs quand les histoires racontées dans les livres me font peur mais que je reste éveillé avec la lampe torche sous les draps à dévorer les lignes pour que maman n'aperçoive pas le rayon de lumière sous la porte quand elle va se coucher. 

Avec les livres, maman dit que j'améliore mon vocabulaire mais encore une fois, les adultes ont bien tort. Moi j'améliore rien du tout, c'est mon moyen à moi de m'échapper du monde des adultes, parce qu'il n'a pas l'air d'être très très drôle. Plus j'avance dans la vie, moins j'ai envie d'être adulte. 

Maman dit aussi que c'est bien pour un petit garçon de mon âge de dévorer les livres, qu'on n'est pas beaucoup à le faire. Encore une fois, sans le faire exprès, je ne suis pas comme les autres... 

Quelques précisions sont cependant nécessaires...

Déjà, je dévore les livres quand il fait trop noir pour aller faire de la balançoire dans le jardin. Et puis, je préférerais dévorer le hamburger de Grégoire. Grégoire, c'est le chef du restaurant de la place aux Herbes. Pendant la guerre, apparemment c'est comme ça, il faut s'enfermer à la maison et les restaurants sont fermés. Mais bon, j'aimerais bien aller dans les rues à la quête d'un bon repas. Pas toi ? 

* * *

Maman elle fait comme si tout était normal mais je sais bien que quelque chose de bizarre se passe. Elle fait les mêmes faux sourires que les quelques jours après que papa soit parti danser avec les oiseaux dans le ciel. 

Maman elle dit qu'elle aimerait changer de monde et même de planète. Est-ce qu'en devant adulte, on perd le pouvoir de tout voir en étant sur un fauteuil de nuages ? 

* * *

Le président, il a dit que ça allait durer longtemps. Encore 3 semaines. C'est un petit chiffre vu comme ça mais hier j'ai calculé, ça fait 30 240 minutes. Est-ce que tu es déjà resté devant une pendule voir les secondes passer ? Une minute ? 

C'est long une minute. Alors la maîtresse et l'école, c'est dans bien longtemps que je vais la retrouver. Mais tant que je ne suis pas adulte, ce n'est pas si grave. 

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