Coupée du monde - Souvenirs
Marcher dans les feuilles, les bousculer sans même les blesser avec cette question qui persiste, qui efface les milliers d'autres qui s'entrechoquent dans mon esprit : "Est-ce que les éclairages de Noël viennent d'être mis ? Ou ont-ils oublié de les enlever l'année dernière ?"
Le temps passe si vite, surtout en cette année étrange où être dehors fut une véritable aubaine.
Encore le même lundi. Encore la même soirée. Le soleil se couche de plus en plus tôt emportant avec lui mes rêves jusqu'à demain matin où il mettra un peu plus de temps avant de découvrir les ombres de la nuit.
Parmi les feuilles jonchées sur le sol, je traîne des pieds. Envahie par une enfantine insouciance, j'allonge dans le temps et l'espace mon pas. Vers l'avant, je fais virevolter les feuilles. Quelques secondes de légèreté pendant lesquelles je rends les mortes un peu plus vivantes. Mon simple désir est d'éviter cette douleur, ce craquellement qui les rapprocherait davantage de la décomposition. Je refuse cette tentative d'assassinat, la même que l'on pourrait procurer à un escargot. Crac.
Même si c'est pour la dernière fois, faire décoller les feuilles. De pas bien haut certes mais de quelques dizaines de centimètres. C'est déjà mieux que rien.
L'air frais est agressif. Ce qu'il faut. Pas trop mais suffisamment pour nous rappeler que face à lui, nous ne sommes pas grand-chose. Et qu'il faut vers vite avant le dernier envol.
* * *
Le temps n'est plus aux bouquets avec les fleurs d'automne - ces jolies feuilles de platanes doivent encore danser dans cour l'école. Ces cueillettes m'auront aidée à trouver le détectable parmi le nombre, parmi l'infini disponible. Si beaucoup de feuilles sont disponibles, nous les choisissions pour leurs caractéristiques, leurs couleurs, leurs nervures. Je donnais ainsi à l'éphémère un goût d'éternel. Pourquoi mes camarades semblent avoir oublié ces fragments de douceur, esquisses d'un bonheur simple et transitoire ?
En juin, dans la même cour, nous chanterions "Aux arbres citoyens". On nous mettrait déjà un poids sur les épaules, on nous ferait prendre conscience de quelque chose dont nous n'étions pas fautifs. On ferait chanter l'écologie à une armée d'enfants avant qu'ils ne comprennent qu'ils avaient entre les bras un fardeau dont ils se seraient bien passés.
* * *
Les temps changent, les lieux se superposent tandis que je comprends peu à peu que ces visages que je croise, et dont certains qui font frétiller ma vie, sont eux aussi éphémères. Malgré tout, il y a ces choses qui perdurent. L'odeur des livres, la soupe qui réchauffe, les roses des sables qui croquent, les vêtements sur le sèche-serviette pendant la douche et les draps froids.
J'ai toujours le stylo qui s'agite, les mots qui démangent. Ca me donne la frimousse heureuse bien qu'un peu plus consciente. J'écoute "The Waltz of the Monsters" mais il n'y a que la version qui change. En réalité, c'est toujours "La Valse des Monstres", cet mélodie grisante qui me rappelle l'enfance et cette entêtement au bonheur.
Avec tout cela, j'en viendrai presque à dire que non, je n'ai plus peur de cette sensation, celle que même entourés par des milliards d'humains, nous demeurons à jamais seuls, enfermés avec pour seule compagne notre individualité.
Refugiée parmi le monde des sens, le visuel au royaume où la rosée domine les champs, l'olfactif où règne le parfum de la terre. C'est l'empire des mots que j'ai choisi, celui où se mêlent désirs et plaisirs, douceur et malheur, où le temps bouscule les émotions. Nostalgie, mélancolie, espoir. Cette hégémonie sans prestige qui à jamais me transporte, me coupe des brutalités du monde à grand coup de poésie.
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