Souvenirs - prologue

 Un besoin vibrant me poussa à saisir mon stylo, à m'y agripper fermement tandis que les mots jaillissaient seuls, guidés par une impulsion qui me semblait être extérieure.

* * *

De tous ces cahiers, de toutes ces feuilles volantes enfermées dans des pochettes plastifiées, il m'arrive de libérer leurs mots dégageant une légère mélancolie due à une soudaine nostalgie. Dans les moments de doute, lors de ces manques d'impulsion à exister, à créer, peu importe la beauté de ma calligraphie passée, il me reste les traces de ces glissements intempestifs du stylo sur les feuilles blanches. Ces ressourçantes phrases relatant des journées oubliées leur donnant un brin d'authenticité et de singularité font revenir à moi ces instants précieux que naïvement, je considérai comme insignifiants. 

Je n'écrivis qu'à des moments clés de mon existence, frappée par des émotions intenses allant de l'immense joie à la plus profonde des tristesses que je ne pouvais pas garder en moi pour cause d'insoutenables brûlures à l'âme. Des émois s'échappaient alors de mon stylo pour s'envoler avec grâce. 

Durant ces doux instants d'évasion, les mots comme refuge pendant ces instants où l'on se cherche un peu, j'ai noté quelques modestes moments de vie. D'abord au collège, avec des amies, portée par cet inébranlable goût d'éternel, cet espoir plutôt. Dans les montagnes, où chaque passage de mon existence, seule ou accompagnée magnifiant cette idée qui m'est propre, ce désir qui m'habite sans cesse, celui de la croissance, de l'évolution, de la transformation même. 

Ces éblouissantes émotions, je ne pouvais les contenir en moi, je devais les exprimer pour mieux m'en libérer. Est-ce cette débordante sensibilité qui m'a poussée à noircir des pages à la lumière dégagée tantôt par le plafonnier de ma chambre d'adolescente tantôt par la frontale dans une tente au milieu des montagnes ? 

Hélas, j'ai manqué de persévérance pour tenir un journal intime, exercice d'écriture que j'ai bien souvent sacralisé au point de m'en détacher. Ayant du mal à me satisfaire du quotidien, d'une violente réalité enivrante, tout comme du banal, des mots plats venaient à moi. Alors n'y voyant guère d'intérêt j'ai abandonné cette fastidieuse tâche pour mieux y revenir parfois. Je n'avais pas compris qu'il s'agissait de mon rapport au monde qu'il fallait que je change. 

* * *

Même si chaque détail de mon existence n'est pas écrit sur un cahier, demeurent en moi des souvenirs immuables, que je ne saurais que vaguement dater et qui me frappent le coeur avec une force enfantine. Tous les journaux intimes n'égalent pas l'exaltation des sens. 


Le parfum du mimosa en fleur, 

L'éclat des boules de houx dans la forêt à la fin de l'automne 

L'odeur du thym qui me ramène aux falaises et à leur goût d'infini, 

Et celle du poireau que l'on coupe inconsciemment sans même savoir qu'on accordait du sens à son effluve qui nous transporte vers les contrées hivernales de l'enfance, immunisée par les soupes de ma mère. 


De l'émanation de l'oignon revenu dans quelques épices, 

Au son mélodieux bien que brutal de la meuleuse qui dégage cette odeur reconnaissable parmi tant d'autres tandis que nonchalamment je passe dans la rue, imaginant alors ces petits copeaux de ferrailles encore brûlants s'accumulant sur le sol. 


Cette nostalgie qu'on n'a jamais cherchée, qu'on n'a jamais écrit dans des carnets et qu'on a même souvent repoussée, par peur d'être différente, d'être trop fragile, elle bouillonne quand même en nous. 

Ces saveurs d'enfance dont inconsciemment on s'empreigne et qui, pour quelques précieux secondes nous emportent très loin, sont bien la preuve que le monde regorge encore de beauté, qu'il n'a pas perdu de son éclat. Je décide de m'accrocher à ma faim, celle pour les levers de soleil, celle pour l'énergique ballet des feuilles mortes et pour le vol des étourneaux. 





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Parenthèses

THE END (for now)

L'année 2023 en 99 souvenirs