Incohérences - Vital(e)
Passive, devant l'écran, mes rêves se dessinent. Chaque année, c'est de plus en plus fort. Aspirée parmi les coeurs enthousiastes et serrées de milliers de coureurs entassés sur la ligne de départ, je retiens mon souffle, mes larmes. Sans trop savoir pourquoi.
Est-ce que j'aimerais être à leur place ? Oui.
Est-ce que je suis prête pour ce défi ? Non.
Pourtant, je connais si bien ces bouleversements émotionnels. L'angoisse mêlée à l'excitation. La peur de décevoir, de se décevoir. La fierté d'être ici : le travail paye toujours. Je sais à quel point c'est fort, c'est différent de tous les enfièvrements habituels. Egoïste, intensément euphorisant. Tout n'est que paradoxes, j'en ai les étoiles plein les yeux. Le goût du défi, de la compétition, du partage, du dépassement de soi.
"Parfois, j'pourrais tout plaquer pour les sentiers". Utopique pensée qui m'effleure l'esprit. Irréalisme.
* * *
C'est toujours pareil : dès que je regarde le départ de la Diagonale des Fous, mes aspirations grandissent. Synergie humaine. Partage presque insolent sur les sentiers à des milliers de kilomètres. Naît alors un "moi aussi". Même si La Réunion c'est trop loin, même si je n'ai pas envie de prendre l'avion, je sais qu'un jour, je prendrai le départ d'un ultra. Sûrement l'UTMB pour les montagnes, la musique de Vangelis qui résonne dans le coeur de tous les coureurs présents au départ, l'ambiance et l'esprit qui me transportent vers ces infinis où tout semble possible. "Si tu t'impliques, alors ça va marcher" me suis-je toujours répétée.
À l'heure où j'écris ces lignes, je devrais travailler, étudier pour être plus précise. Mais ces tribulations philosophiques d'une Occidentale cachent en réalité ces quelques heures de repos réclamées avidement par mon corps. Dans cette course contre moi-même au toujours plus, au toujours mieux, "elles sont là tes limites" me chuchotte l'épuisement. Cette fatigue me rappelle à ma condition humaine. Virgule dans cette longue phrase de ma vie, utile pour reprendre son souffle, pour repartir sur de nouveaux objectifs.
Devant le départ de la Diagonale des Fous, je retourne à l'essentiel, à cet appel qui, je crois bien, ne cessera de me faire vibrer. Surchage mentale me repousse en dehors du quotidien, vers de nouvelles chimères. Ca faisait longtemps que les mots ne s'étaient pas écoulés avec fluidité sur le papier. Longtemps aussi que le doute ne s'était pas installé. "Fastoche, les mains dans les poches" me disait une amie dont j'ai toujours récolté les petites expressions banales que j'ai lu comme des métaphores, devenues aujourd'hui des mantras. "Accroche-toi" ; "Monte les pattes" ; "Choisis qui tu veux être".
Pas si fastoche d'apprendre à danser sous la pluie. Sous l'averse, continuer de grimper avec Danakil dans les oreilles, de courir avec "Le temps des fleurs", d'écrire et de rêver. Pour une fois, je ne suis pas productive, enfin tout dépend du point de vue.
* * *
De braindump en braindump, je navigue parmi mes to-do list du jour. Bienvenue dans le melting-pot de mon existence - qui m'en ferait presque oublier de parler français. J'aime dire que j'ai plusieurs vies. J'aime ne savoir trop quoi répondre à la question des adultes "Qu'est-ce que tu fais maintenant ?". J'aime l'incertain, la diversité, la nouveauté, sans parler des challenges - des répétitions !
"Maintenant, ma vie n'est que verbes. Ecrire, cuisiner, respirer, grimper, courir, m'entraîner, étudier, fouiller, publier, organiser, laver, partager... La somme de ces actions n'est rien que l'essentiel être et le tant espéré devenir (même si celui-là, je n'ai qu'une vague idée de ce à quoi il va ressembler). Boostée par la progression, les mini-victoires et la joie de l'instant présent, mes journées s'allongent tandis que le temps lui, semble s'accélérer. D'ailleurs, je cours toujours après lui. Inlassablement". Voilà ce que je suis.
* * *
Dans cette frénétique course passionnée au coeur des montagnes de la vie, guidée par un élan de liberté, par ce désir flou d'émancipation (de quoi ? de qui ?), rien n'est parfait. Ouf ! Quelques taches tenaces demeurent dans ma liste de choses à faire. Impossible de les faire disparaître quand la procrastination s'invite au planning. "Mettre à jour Carte Vitale" vient de fêter ses 14 mois, "trier photos" ses 6 mois et "aller chez le dentiste" ses un an, happy birthday ! Est-ce là la réelle limite de mes mille et une vies ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire