Un brin de confiance
À une époque pas si lointaine, il ne restait que des résidus d'Etoile Filante. Cette dernière, effrayée par un monde dont elle découvrait la réalité entre performance, rentabilité et accumulation, avait décidé d'éteindre sa lumière, perdant au passage sa fougue ainsi que son désir d'exploration vagabonde. D'Etoile Filante ne demeurait que poussières accablées, déçues. Persévérance en veille, à la recherche de détermination, elle a accepté une main implicitement tendue, des souvenirs pour la vie, une bouffée d'oxygène et surtout... un brin de confiance.
Vidée d'un courage qui autrefois me caractérisait si bien, au milieu de ce chaos, je n'avais plus la force d'avoir la rage - celle d'aller courir, de grimper avec passion et de me battre pour mes objectifs. Me satisfaisant à peine de ces contemplations alpines à plus de 3000 mètres d'altitude, j'en étais même devenue hermétique à la beauté du monde, de la nature.
15 septembre 2018
Timidement, ce matin, je suis en route pour être coach à l'événement Grimpeuses. L'idée ? Une journée de grimpe entre femmes pour se dépasser. Pas féministe, je n'ai pas l'impression d'avoir de grandes choses à défendre mis à part l'écologie. Préférant la solitude des grands espaces aux secteurs d'escalade blindés, y aurai-je ma place ? Et puis au milieu de ces championnes, ne vais-je pas faire un peu tâche ? Pourquoi est-ce que j'y vais ? Me suis-je déjà sentie oppressée dans ma grimpe ? Bof.
Bon, en réfléchissant, peut-être.
Les regards sur mon corps quand j'ai des vêtements trop moulants, les remarques de l'année dernière à Fontainebleau... Avant, ça me boostait, ce désir de tout déchirer, au-delà des préjugés, des phrases assassines. Aujourd'hui, je n'en ai plus la force, je n'en peux plus de ces discours.
Regroupant toute ma motivation, je vais souvent m'entraîner à l'aube, non pas par désir croissant de solitude mais bien parce que j'ai l'impression qu'il faut que je rattrape quelque chose... Des rêves pour lesquels je ne me suis pas suffisamment battue.
Guidée par la nostalgie, je me rends à Grimpeuses pour passer une journée dans la forêt de mon adolescence et pour partager à nouveau un moment avec Caroline. Qui sait, si jamais ça pouvait me faire oublier le chaos qui résonne dans mon esprit, ça serait une belle petite victoire. À vrai dire, plein de choses bizarres me collent à la peau : dix kilos de trop, pas assez forte, pas assez bien, pas suffisamment impliquée, pas confiance... Depuis quelques mois, je ne suis que débris. Plus c'est lourd, plus c'est difficile de remonter à la surface.
* * *
Au pied de ces blocs qui n'ont (presque) plus de secrets pour moi, j'ai laissé les chaussons dans mon sac. "Je suis là pour coacher, pas pour grimper", voilà que je me mens encore à moi-même (et aux autres). À vrai dire, je n'ai pas vraiment confiance.
Les heures s'enchaînent et aussi fou que cela puisse paraître, j'en ai oublié de manger, trop occupée à distribuer des sourires dans tous les coins, à dégainer les conseils et à observer une émulation, la même qui nous guidait Léa, Quentin, Pierre, Arnaud et moi-même à Nîmes tous les samedis après-midi à une époque qui me semble désormais si lointaine. Un élan que je croyais uniquement réservé aux utopies adolescentes, insouciantes et sereines.
Incroyable ! Pendant quelques heures, j'arrive à oublier ces blessures, à partager mon amour de l'escalade, seule chose qui demeure intacte, m'aidant à surpasser mes nombreux doutes. Et j'enfile même les chaussons pour faire la démo dans un bloc. Je retrouve alors ces sensations plutôt uniques. Dépassé une certaine hauteur, je sais bien qu'il vaut mieux ne pas tomber. Au-delà de la difficulté, c'est ça qui me fait vibrer le plus dans l'escalade.
Quelques minutes plus tard, une grimpeuse enchaîne à son tour ce passage, guidée par mes encouragements et par ceux des autres, encore un peu timorées à l'idée d'aller "là-haut". Au sommet, ravie, elle prend conscience qu'elle est forte, qu'elle sait bien grimper et que pour oser dépasser ses peurs, il lui manquait seulement un brin de confiance.
11 septembre 2021
Au quotidien, je ne comprends toujours pas ces regards insistants, ces remarques dans les rues et cette petite peur qui me colle à la peau quand je vais courir seule à l'aube. Alors oui, peut-être suis-je devenue un peu plus sensible à la cause des femmes pour avoir vécu ces sentiments d'inconforts et ces paroles destructrices.
Pour la troisième fois, je retourne à Grimpeuses. Sauf que là, mes nouvelles interrogations sont bien différentes. Qui ira chercher le pain pour les sandwiches ? Qui tient la buvette ? Qui va s'occuper du yoga ? Pourquoi ? Y ai-je ma place ? Ai-je quelque chose à partager ?
Malgré le Covid venant jouer le trouble fête, l'énergie est la même, peut-être un peu plus forte car dans cette grande réunion de copines, je savoure ces instants où j'ai un peu le temps d'enfiler les chaussons entre deux allers-retours et deux conseils. Toujours pas championne, toujours pas grimpeuse de 9 (encore moins de 8), j'ai retrouvé quelque chose d'essentiel : le sourire. Le vrai hein, pas celui que je feignais au quotidien. Alors naturellement, j'ai décidé de laisser de côté ces blessures émotionnelles, de lâcher du lest pour, à coup de confiance, m'envoler aux sommets des blocs les plus hauts.
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