Faut-il démonter la cabane des enfants ?

« Ça y est, on va mettre la maison en vente ». 

Je n’ai pas mon mot à dire. Il n’empêche que ma première réaction est la révolte. Vous ne pouvez pas faire ça, c’est impossible. Retournons le sablier, remontons le temps. Ou mettons-le sur pause. 

 

Sur pause, c’est bien ça aussi. 

 

À cette vivacité protectrice s’est substituée une forme de mélancolie, teintée de nostalgie.  

 

Parce que ce n’est pas n’importe quelle maison qui va être mise en vente. C’est celle de l’avenue Charles De Gaulle à Connaux. 

 

Je suis passée devant pendant années sans remarquer ses volets bleus, sans être frappée par son étrange devanture métallique, « La Winstub »… jusqu’au moment où les autocollants « Altissimo » et « The North Face » sur le camion garé devant la maison ont attiré mon attention. Il doit y avoir des grimpeurs ici. Des grimpeurs à Connaux ? Bizarre.

 

Ma curiosité n’est pas allée plus loin. C’est alors que la chance est entrée en scène. 

 

La chance de ma vie.

 

En bus après le lycée, ou à pied le samedi matin, c’est toujours avec la même hâte que je suis rentrée dans la maison de Connaux. Venue chercher la progression, j’y ai d’abord trouvé la sérénité. L’amitié ensuite. 

 

Mais ce n’est qu’en étudiant la philosophie que j’ai compris d’où venait mon attachement viscéral à ce lieu, à cette safe place, à ce refuge. Foucault parle d’hétérotopie, « un espace autre », loin des normes sociales qui permet le déploiement de l’imaginaire. Comme une cabane d’enfant le ferait. 

 

Voilà, c’est ça, « La Winstub » a été ma cabane. Elle m’a protégée des rafales de vent de l’extérieur. De ses orages, de ses tempêtes. Elle m’a régulièrement abritée, m’a appris à m’exposer au monde, à cet environnement dans lequel je me sens encore souvent étrangère, à ma propre nature aussi. 

 

Je me revois monter deux à deux les escaliers. Faire une pause devant les livres à l’entrée du pan. Lancer la musique, m’échauffer avec Yann Tiersen en fond. Effleurer les prises avant de m’y accrocher fermement. Ouvrir la fenêtre qui donne sur la rue. Grimper. Aller sur la terrasse entre deux séries. Admirer le mont Ventoux. Puis grimper encore. 

 

Il faudra bientôt dire adieu à ce havre de paix. Je ne sais pas quand. Je ne veux pas savoir. Un morceau de passé va bientôt s’envoler, c’est triste. Mais je mesure la chance d’avoir pu, pendant près d’une décennie, me réfugier ici.

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